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Hezbollah : vers la fin d’un consensus politique autour de ses armes

Ces dernières semaines, le paysage politique libanais a connu un tournant majeur : plusieurs figures influentes et forces politiques, jusque-là prudentes sur la question des armes du Hezbollah, ont franchi le pas en appelant clairement au désarmement du parti chiite. Une prise de position sans précédent qui reflète l’isolement croissant du Hezbollah, jamais aussi contesté sur ce front depuis la création de sa branche armée en 1982, dans le contexte de l’invasion israélienne du Liban.

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©2025 voix Press -Hezbollah : vers la fin d’un consensus politique autour de ses armes




Historiquement, le Hezbollah a été l’unique formation armée à échapper au processus de désarmement imposé à l’issue de la guerre civile libanaise, en 1990. Son rôle dans la lutte contre l’occupation israélienne a longtemps bénéficié d’une légitimation institutionnelle, notamment via les accords de Taëf et les déclarations ministérielles successives, invoquant le droit à la résistance face à une occupation étrangère.


Mais ce consensus n’a jamais été unanime. Dès les premières années, une frange importante de la classe politique et de la société civile exprimait ses réserves, suspectant le Hezbollah de servir davantage les intérêts géostratégiques de l’Iran que ceux du Liban.


Dans les années 1990, le parti jouissait pourtant d’un large soutien. Son efficacité militaire, couronnée par le retrait unilatéral de l’armée israélienne du Sud-Liban en 2000, renforçait son aura de « résistance sacrée ». À l’époque, ses armes étaient perçues comme un symbole de souveraineté nationale.


Ce climat de quasi-consensus s’est progressivement fissuré après 2005, avec le retrait des troupes syriennes du Liban, consécutif à l’assassinat de Rafic Hariri. Une partie des Libanais a alors exprimé ouvertement son refus de voir perdurer un groupe armé en dehors du giron de l’État. Le Hezbollah continuait néanmoins de justifier son arsenal par la nécessité de libérer les fermes de Chebaa, territoire contesté toujours sous contrôle israélien, et par son rôle dissuasif face aux ambitions supposées d’Israël.


Jusqu’à récemment, cette posture bénéficiait encore d’une certaine couverture politique officielle. Mais la donne a radicalement changé début 2025.


Deux événements majeurs ont bouleversé les équilibres : la défaite militaire du Hezbollah dans la guerre contre Israël (octobre 2023 - novembre 2024), et la chute du régime syrien en décembre 2024, qui a coupé une voie logistique stratégique reliant Téhéran à Beyrouth. Cette recomposition géopolitique a ouvert la voie à une nouvelle ère politique au Liban.


L’arrivée au pouvoir du président Joseph Aoun et de son Premier ministre Nawaf Salam a marqué un tournant. Pour la première fois depuis 1990, le discours présidentiel d’investiture ne faisait plus mention du « droit à la résistance ». À la tribune du Parlement, le chef de l’État a au contraire défendu « le monopole des armes par l’État ».


Le Premier ministre, quant à lui, n’a jamais caché son hostilité au Hezbollah, qu’il considère comme le prolongement de la diplomatie iranienne dans la région.


Depuis, les appels au désarmement se sont multipliés. Et le basculement de figures autrefois modérées a accentué l’isolement du Hezbollah. Le leader druze Walid Joumblatt a publiquement rompu avec la position historique du parti chiite, déclarant que les armes de ce dernier ne jouaient plus aucun rôle dans le retrait israélien et affirmant que les fermes de Chebaa, principal prétexte à l’armement du Hezbollah, appartenaient en réalité à la Syrie.


Autre coup dur : Gébran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL), allié traditionnel du Hezbollah, a également pris ses distances. Il a affirmé que « les armes du Hezbollah ne sont plus adaptées face aux défis de l’intelligence artificielle » – allusion directe à la supériorité technologique d’Israël.


Même parmi ses anciens soutiens, le silence est désormais éloquent. Les figures sunnites Fayçal Karamé et Hassan Mrad, longtemps proches du Hezbollah, se montrent aujourd’hui nettement plus réservées, évitant de défendre son maintien militaire.


Le paysage politique se divise désormais en trois blocs : ceux, de plus en plus rares, qui soutiennent encore la « résistance armée » ; ceux, plus radicaux, qui prônent un désarmement forcé ; et enfin, ceux qui misent sur le dialogue pour éviter un conflit civil.


Joseph Aoun, fort de son expérience à la tête de l’armée, incarne cette dernière voie. Conscient des risques d’un affrontement interne, il plaide pour une solution concertée, tenant compte des équilibres fragiles du pays.


Face aux pressions américaines croissantes, le président Aoun tente de défendre une approche graduelle. Il lie le désarmement à une série de conditions sécuritaires, notamment le retrait israélien de cinq collines stratégiques capturées lors du dernier conflit, la cessation des frappes israéliennes, la libération de combattants capturés, et la résolution de plusieurs points frontaliers litigieux.


Washington, autrefois intransigeant sous l’administration Trump, semble aujourd’hui plus disposé à écouter Beyrouth. Le nouvel émissaire américain, Thomas Barrack, a transmis un document de travail au président Aoun, contenant des questions ouvertes plutôt que des exigences fermes. Une copie a été remise au Hezbollah, qui s’est engagé à fournir une réponse dans un délai de deux semaines.


En toile de fond, les discussions portent sur un plan progressif : le Hezbollah accepterait de désarmer entièrement au nord du fleuve Litani, en contrepartie de garanties israéliennes et internationales. Déjà, 500 infrastructures militaires ont été remises à l’armée libanaise au sud du fleuve.


Une proposition de calendrier basé sur le principe de simultanéité entre les concessions libanaises et israéliennes est en cours de préparation. Toutefois, l’incertitude demeure : les précédentes tentatives, notamment le désarmement des camps palestiniens prévu pour le 15 juin, sont restées lettre morte.


L’issue de ce processus reste incertaine, mais une chose est sûre : le temps où les armes du Hezbollah bénéficiaient d’un consensus tacite est désormais révolu. L’organisation, autrefois perçue comme un rempart contre l’ennemi israélien, fait désormais face à des interrogations de fond sur sa légitimité, son rôle national, et son avenir dans un Liban qui aspire à retrouver le contrôle exclusif de ses armes – et de sa souveraineté.

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